Le télétravail a fait son entrée dans la vie professionnelle de beaucoup de français en 2020 alors que le monde faisait face à une crise sanitaire sans précédent et que les consignes étatiques nous contraignaient à un confinement strict. Beaucoup d’entreprises ont alors adapté leurs méthodes de travail afin d’assurer la continuité de leur activité. Une fois la crise sanitaire passée, beaucoup d’entreprises, et de salariés ont souhaité maintenir cette nouvelle organisation du travail.  

Si le Code du travail réglemente la mise en place du télétravail, en pratique, c’est aux juges de dire comment appliquer les principes traditionnels de contrôle du travail et de sécurité du salarié dans ce nouvel espace de relations.

Notamment, si un salarié fait un malaise chez lui pendant son temps de télétravail, relève-t-il aussi du régime des accidents du travail ?

Ce cas d’espèce, qui s’est présenté au cabinet, nous a amené à nous interroger sur une question plus vaste : qu’en est-il des obligations, notamment de l’obligation de sécurité, de l’employeur vis-à-vis du salarié lorsque celui-ci n’est pas physiquement présent sur son lieu de travail mais exerce son activité en télétravail ?

 

L’obligation de sécurité

Coté employeur, l’article L. 4121-1 dudit Code fait peser sur lui une obligation de sécurité qui peut être qualifiée d’obligation de moyen renforcée en ce qu’elle lui impose de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’article précise, non sans intérêt pour nos propos, que l’employeur « veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ». Le télétravail ne serait-il pas une situation nouvelle nécessitant que les mesures de sécurité soient adaptées ? Pour sûr !
Le législateur n’a pas manqué de rappeler que les obligations de l’employeur restent inchangées, que le salarié soit présent ou en télétravail, puisque l’employeur est tenu de respecter ses obligations de droit commun vis-à-vis de ses salariés (article L. 1222-10 du Code du travail).
Toutefois, le télétravail nécessite également la mise en place de mesures nouvelles.

L’évaluation et la prévention des risques professionnels

L’évaluation des risques professionnels constitue une étape cruciale de la démarche de prévention. C’est la rédaction du « document unique » (dit DUERP), obligatoire dans toutes les entreprises, quelles que soit leur taille. Si cette obligation découle d’un décret du 5 novembre 2001, il n’est pas contestable que le télétravail est venu ajouter des risques à ceux classiquement identifiés par les entreprises. Le DUERP doit donc être mis à jour.
En effet, le développement du télétravail a entrainé l’accroissement des risques psychosociaux (RPS). Ils ont été définis comme « un ensemble de risques pour la santé physique, mentale et sociale provoqués par une exposition à des facteurs relationnels et organisationnels et des conditions d’emploi pouvant avoir des effets néfastes sur le fonctionnement mental, physique et social d’un employé » (définition de l’OMS).
Les risques psychosociaux peuvent être d’ordre physique (maux de dos et de tête, fatigue, surexposition aux écrans) mais aussi d’ordre psychologique (troubles dépressifs et anxieux, stress, troubles du sommeil, sentiment d’isolement de la communauté de travail, etc).
Il revient à l’employeur de protéger la santé mentale et physique de ses salariés mais le Code du travail ne pose que des obligations générales telles que :

  • Mettre à jour le Document Unique d’évaluation des risques (article R. 4121-1 et R. 4121-2 du Code du travail) en intégrant ces nouveaux risques,
  • Organiser un entretien annuel dédié au télétravail (article L. 1222-10 3° du Code du travail),
  • Apporter des informations techniques précises sur l’usage et les restrictions d’usage des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) (article L. 1222-10 1° du Code du travail).

D’un point de vue plus pratique, l’employeur peut :

  • Mettre en œuvre des opérations de prévention des risques psychosociaux (organisation des locaux, mise en place de processus adaptés en cas de pics d’activité, entretiens d’évaluation réguliers, diagnostic des forces et faiblesses, préparation des réorganisations de l’entreprise, etc),
  • Multiplier les actions d’information et de formation,
  • Mettre en place des groupes de travail,
  • Proposer des mesures de soutien aux salariés,
  • Offrir la possibilité aux salariés de reprendre un poste sans télétravail et conforme à leurs compétences et qualifications au sein de l’entreprise si le télétravail ne convient plus au salarié.
évaluation des risques en télétravail

Le régime légal de l’accident du travail

L’article L. 411 du Code de la sécurité sociale prévoit que « est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ». Cet article pose une véritable présomption d’imputabilité.
L’accident du travail est donc un évènement soudain survenu pendant l’activité professionnelle qui cause un dommage corporel ou psychologique. Pour être reconnu comme tel, l’accident du travail doit :

  • Constituer un fait accidentel,
  • Survenir par le fait ou à l’occasion du travail,
  • Être daté avec précision,
  • Causer un dommage au salarié.

Dans le cas où le salarié victime d’un accident de travail fait l’objet d’un arrêt de travail, celui-ci perçoit une indemnité journalière légale versée par la Sécurité Sociale dont le montant est calculé sur la base du salaire de référence.
L’employeur peut être tenu de verser au salarié une indemnité complémentaire venant compléter l’indemnité journalière du régime d’assurance maladie si, cumulativement :

  • Le salarié n’est pas un salarié saisonnier, intermittent ou temporaire,
  • Le salarié a plus d’un mois d’ancienneté dans l’entreprise,
  • L’employeur a été informé dans les 48h suivant l’accident du travail et a reçu le certificat médical,
  • Le salarié bénéficie des indemnités journalières versées par l’organisme de sécurité sociale,

Les indemnités versées par l’employeur s’effectuent en déduction faite des indemnités journalières versées par le régime de sécurité sociale et éventuellement des sommes versées par le régime complémentaire de prévoyance du salarié.
Par ailleurs, l’employeur a l’obligation de déclarer l’accident à la sécurité sociale dans les 48 heures et de délivrer au salarié une attestation de salaire destinée au calcul de ses indemnités journalières.
Coté employeur, la reconnaissance du caractère professionnel d’un accident a des conséquences : cela peut entrainer une augmentation de son taux de cotisation AT/MP.

régime légal de l'accident du travail

L’accident survenu en télétravail est-il considéré comme un accident du travail ?

Le salarié en télétravail peut être victime d’un accident à son domicile ou sur le lieu choisi pour exercer l’activité en télétravail, sur son temps de travail (chute, malaise, …).

Le télétravailleur bénéficie, à l’instar du salarié occupé dans les locaux de l’entreprise, de la législation relative aux accidents du travail et des maladies professionnelles.

L’accident étant présumé d’origine professionnelle lorsqu’il survient au temps et au lieu du travail, la présomption d’imputabilité suscite quelques questionnements lorsque l’accident survient dans le cadre du télétravail en ce que la ligne de partage entre l’accident survenu dans le cadre de la vie professionnelle et l’accident survenu dans le cadre de la vie privée est difficile à tracer. Ainsi, la preuve de la survenance de l’accident à l’occasion du travail peut nourrir un contentieux délicat.

Afin d’éviter au maximum les zones grises, l’employeur aura intérêt à déterminer, dans le contrat de travail ou l’avenant de télétravail, l’espace de travail du télétravailleur ainsi que les plages horaires durant lesquelles l’employeur peut contacter le télétravailleur. Il devra aussi s’assurer personnellement que le lieu de télétravail répond aux normes élémentaires de sécurité : accès, aération, espace suffisant, exposition au bruit, température, ergonomie du poste. Le cas échéant, la preuve du caractère non professionnel de l’accident en sera alors facilitée. Ainsi, le télétravail dans une cave sans fenêtre ni chauffage ou climatisation dont l’accès se fait par une échelle de meunier sera vivement déconseillé … Il en ira de même du bureau installé dans une mezzanine sous la tôle non isolée accessible par un escalier sans main courante.

En cas d’accident déclaré, si l’employeur souhaite contester la décision de prise en charge par la Caisse de Sécurité Sociale, il lui appartiendra de détruire la présomption d’imputabilité en prouvant que la lésion a une cause totalement étrangère au travail. Ainsi, l’employeur pourra tenter d’apporter la preuve notamment d’un état pathologique préexistant sur lequel le travail a été sans incidence.
Autant dire que ce sera mission impossible si toutes les précautions préalables n’auront pas été prises.

Certes l’employeur pourra toujours demander au tribunal une mesure d’expertise médicale, mais les tribunaux jugent que la présomption d’imputabilité ne tombe pas lorsque la cause de la lésion est demeurée inconnue.

En conclusion, dès lors qu’un accident en télétravail sera encore plus difficile à contester par l’employeur, il important de ne pas s’y engager à la légère. Notre cabinet accompagne les employeurs en amont de la mise en place du télétravail, pour la rédaction des avenants, chartes informatiques et pour l’évaluation des risques professionnels.

Maître Margaux LABORDE